Les tribulations d’un climato-réaliste à la COP 28

1er Jour

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La preuve par Dubaï

J’ai manqué le premier jour de la COP 28, en mauvais élève de la cause climatique que je suis. J’ai, en effet, passé la journée du 30 novembre dans l’avion, entre Paris et Dubaï, méditant, au-dessus des nuages et aux frontières de la tropopause, sur le rôle du soleil dans nos destinées climatiques. C’est sciemment que j’ai esquivé l’inauguration en session plénière de ce grand raout réunissant, pour plus de 12 jours, les puissants gendarmes environnementaux de notre planète et leurs cohortes de dévoués soldats (tout un bataillon d’ONG, de militants, de bureaucrates et d’experts ou conseillers en tous genres). Je voulais ainsi échapper aux discours convenus, dont la répétition à l’identique à chaque COP et à chaque conférence sur le climat, a de quoi vous lasser, vous ennuyer, voire vous irriter.

Année après année, la même logorrhée, les mêmes mots, la même obsession d’une apocalypse imminente, les mêmes accusations portées contre le CO2, la même requête unanime (« faire payer les riches ») : tout cela a de quoi vous décourager du genre humain devenu une sorte d’Homo Terminus déprimé, n’ayant plus d’horizon que la terreur d’une fin brutale annoncée.

Pendant le trajet en avion, j’ai engagé la conversation avec mes deux voisins de voyage, curieux de connaître leur(s) motivation(s) pour venir à la COP (je supposais qu’ils venaient pour l’événement puisqu’ils arboraient le badge onusien des 17 Objectifs de Développements Durables).

L’un était un jeune banquier brésilien, au costume bien mis et à la cravate aux couleurs de son pays, à la recherche d’opportunités dans la finance verte. Il m’avoua assez rapidement qu’il était également venu pour « faire comme tout le monde », « verdir un peu l’image de son entreprise » en communiquant sur sa participation à l’événement. Je vous passe toute la discussion (allant du financement des énergies renouvelables au contenu du plateau repas en seconde classe) et vous donne la conclusion qu’il me fit en substance : « il faut bien s’y intéresser à ces choses-là, puisque ce sera bientôt obligatoire chez nous, comme en Europe, à travers les principes de l’ESG ». « On n’a pas le choix, alors il faut s’y mettre ». L’obligation comme pousse-à-la-vertu : voilà une forme d’éthique de la contrainte et de la fatalité qui semble faire peu de cas de la liberté.

L’autre compagnon de voyage était un vieux militant français des causes écologiques d’une soixantaine d’années, alternant, dans ses propos, entre espoirs, colère et dépit. Espoirs de voir enfin le monde entier s’attaquer aux racines du mal (le CO2, ou plus précisément, la part de l’homme dans le CO2). Colère face au manque de moyens financiers. Dépit de voir les entreprises s’engager dans de vastes campagnes de greenwashing et exercer une influence délétère sur les pays développés qui passent leur temps à avancer pour mieux reculer. Quant à l’idée de prendre l’avion depuis Paris pour se rendre à plus de 5000 kilomètres de là, il admit que cela le gênait un peu et le faisait hésiter chaque année depuis près de 10 ans à venir à la COP. Il finissait tout de même par se résigner à y participer, et ce, chaque année depuis une décennie ! Mais m’assura-t-il, sa conscience était « presque tranquille » (il esquissa alors un sourire un peu feint), puisqu’il venait de s’acheter des indulgences sous la forme de crédits carbones personnels. Il avait récemment découvert un site qui proposait aux individus d’acheter des crédits carbones pour compenser leurs émissions et permettre ainsi à tout un chacun d’atteindre les paradis verdoyants de l’évangile selon le GIEC (là c’est moi qui traduis un peu le fond de sa pensée avec mes propres mots). Assez lucide, il doutait tout de même un peu de l’efficacité de cette compensation carbone, mais il ne voyait pas d’autres moyens, pour le moment, de faire amende honorable. Pour passer à un autre sujet, il ajouta, promptement, qu’il était important pour les « vrais militants » de venir à la COP, sinon les bureaucrates de tous les pays finiraient par imposer leurs solutions complexes à l’excès et « nous rouleraient dans la farine » (avec ou sans OGM, il ne l’a pas précisé) !

Et pour finir (nous entamions à ce moment-là la descente vers Dubaï), je lui demandai ce qu’il pensait des affirmations de Jean-Marc Jancovici sur la nécessité de devoir limiter, au cours d’une vie, les vols en avion au nombre de quatre. Il me répondit, sans hésiter : « On n’a pas le choix, si on veut survivre ». Je le laissai à ses contradictions sans ajouter un mot. Je repensai alors à ce curieux refrain sur l’absence de choix qui revient si souvent dans les paroles de nos évangélistes du réchauffement climatique anthropique. Faudra-t-il sacrifier nos libertés (tout ou partie d’entre elles ?) au nom de l’impératif catégorique écologique ? Prétendre qu’il n’y a pas de choix, n’est-ce pas une manière de renoncer au débat, à la discussion et au doute ? Je laisse ces questions en suspens et les réserve pour mes éventuels compagnons du retour !

Avant d’atterrir à Dubaï à la tombée de la nuit, l’avion survole une partie du désert, puis le Golfe Persique, et enfin la ville avec ses immensités verticales d’acier nimbées de lumières. Je comprends mieux, tout à coup, pourquoi de nombreuses voix se sont élevées contre la tenue de la COP 28 à Dubaï. Mais, peut-être, les raisons véritables de cette opposition ne sont pas celles que l’on croit. L’agitation initiale des militants concernait surtout l’idée que l’Émirat dubaïote avait utilisé et continuait d’utiliser les énergies fossiles pour développer son économie et n’était pas le mieux placé pour accueillir un événement qui devait consacrer leur disparition. Aujourd’hui, pourtant, les énergies fossiles ne représentent qu’à peine 5% du PIB de Dubaï (les services, la finance et le tourisme ont une place bien plus importante dans l’économie de l’Émirat). Alors, je me suis dit que la raison de l’hostilité manifestée par de nombreux écologistes devait être ailleurs.

Pour les partisans du réchauffement climatique anthropique, Dubaï est un problème, voire un scandale : c’est la preuve que l’homme a pu s’adapter à une nature hostile, nature dont l’hostilité a précédé l’influence de l’homme sur son environnement à une échelle régionale ou globale.

Ce n’est pas l’homme qui a enserré la ville entre le désert et la mer dans une région où les températures peuvent dépasser les 50°c. Le désert a plusieurs milliers d’années. Les fortes chaleurs qui y règnent aussi. Il n’y a là, rien de nouveau sous le soleil ! Et pourtant l’homme a été capable d’ériger d’immenses villes où la prospérité s’étale avec arrogance et fierté (de manière un peu déconcertante il est vrai) en dépit de tant de défis techniques et humains qu’il a fallu surmonter.

Dubaï est un miracle d’ingéniosité humaine. Son artificialité même est la preuve du génie des hommes face à une nature hostile.

Les énergies fossiles ont permis ce miracle. Elles ont permis l’irrigation à grande échelle ; la maîtrise des températures (par la climatisation généralisée dans les bâtiments et les transports) ; la stabilisation des côtes ; la facilité des transports (des hommes, de l’énergie, des marchandises), etc. Ces énergies fossiles sont en partie celles que l’Émirat recélait dans son sol il est vrai, mais aujourd’hui, l’Émirat utilise la versatilité de ces énergies venant d’ailleurs pour continuer à bâtir et gagner du terrain sur la mer et sur les terres infertiles du désert.

De nombreux pays qui peinent encore à se développer et qui possèdent pourtant de grandes ressources naturelles (on pense notamment à la RDC), ne devraient-ils pas suivre l’exemple dubaïote ? C’est-à-dire dominer la nature plutôt que la subir ? Et peut-on raisonnablement affirmer que les énergies solaires et éoliennes pourront se substituer aux énergies fossiles sans mettre en danger les hommes dans les milieux difficiles et sujets à d’importants aléas climatiques ?

Dubaï est la preuve que l’homme sait et a toujours su s’adapter à tous les climats, même les plus dures. Qu’il maîtrise l’art de la survie. Qu’il y a un lien évident entre notre capacité d’adaptation et l’usage des énergies fossiles. Alors, n’allons pas trop vite en besogne et n’enterrons pas les énergies fossiles demain matin si nous voulons encore pouvoir nous adapter aux caprices du climat. Nous avons le temps et les ressources énergétiques pour nous adapter. Investissons avec optimisme dans la recherche et le développement de toutes les énergies disponibles (fossiles et non-fossiles) et arrêtons d’avoir peur du CO2 et des êtres humains !

« Sous le béton, le désert ». Ce pourrait être la devise d’un pays qui met les partisans d’une vision mortifère de l’écologie dans l’embarras et qui vient apporter un démenti brutal au désespoir dans lequel il faudrait nous complaire !

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2ème jour

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Partie 1. Entre Guerre & Paix

Pour me rendre à la COP, je prends le bus mis à disposition par l’hôtel. Nous sommes une vingtaine à nous y installer pour une bonne heure de trajet à travers les steppes bétonnées et les archipels de verre élancés vers le ciel. Mon voisin de bus, la trentaine tout juste, m’informe qu’il est arrivé hier et qu’il a attendu plus de deux heures avant de recevoir son badge, ce graal qui devait lui permettre d’accéder au saint des saints.

C’est sa première Convention sur le Climat, comme moi. Il a toujours voulu y aller, ce qui n’est pas tout à fait mon cas. Il est « en train d’accomplir un rêve » et moi, je me contente d’ausculter ce rêve pour en disséquer les troubles recoins. Pour lui ça à l’air d’une sorte de pèlerinage qu’il faut réaliser au moins une fois dans sa vie. Il vient à la COP comme d’autre se rendent à Lourdes, à la Mecque ou au Mur des Lamentations. Peut-être attend-t-il qu’un miracle s’y produise. Mais lequel ? Celui d’un monde sans changement climatique comme en rêvent les experts du GIEC ? Sans soleil comme l’imagine Bill Gates parti en guerre contre notre voisine étoile ? Un monde propre, sans aléas et sans risques (un peu comme un grand Mall dubaïote) ?

On sent, en tous cas, qu’il est heureux d’être là et d’avoir été « choisi » pour représenter l’ONG pour laquelle il travaille depuis 4 ans et qui s’occupe d’aider les réfugiés dans la zone sahélienne.

Vous vous occupez des réfugiés « climatiques », dis-je avec une réelle curiosité ?

Non non, les réfugiés qui sont déplacés en raison de conflits politiques. Mais bientôt, assure-t-il, « les réfugiés climatiques s’ajouteront aux autres » et là il faudra bien faire appel à son ONG et à d’autres comme la sienne qui viennent en appui aux programmes de l’UNHCR. Un instant, on croit percevoir dans le ton de sa voix un certain bonheur à l’idée que son ONG soit promise à un bel avenir grâce aux futurs flots de marées humaines que les changements climatiques ne manqueront pas de provoquer.

Ce n’est pas faux, avouons-le, me dis-je intérieurement, « la misère du monde est une opportunité à saisir » !

Des migrations climatiques, il y en a toujours eu, puisque le climat s’est obstiné à être inconstant depuis la nuit des temps. Alors, comment repérer parmi tous les réfugiés, ceux qui sont « déplacés par le CO2 émis par l’homme » ? Ma question ne semble pas l’intéresser.

Après un temps sans échange, mon voisin me lance tout de go : « Nous sommes en guerre ! »

Ah bon ! Comment ça en guerre ?

Vous vous souvenez, me dit-il, de ce qu’avait dit Laurent Fabius en 2015 à la COP de Paris ? « Le climat, à la fin, c’est la guerre ou la paix ».

Mais une guerre contre qui ? ou contre quoi ? lui demandai-je interloqué.

Contre l’industrie fossile, bien sûr, qui détruit notre planète, contre le CO2, contre le temps qui presse et qui nous manque déjà, contre notre mode de vie qui nous pousse à trop consommer, contre la mondialisation des échanges, contre l’égoïsme, contre les chasseurs, les braconniers et les agriculteurs, contre les supermarchés, contre le capitalisme effréné, contre la finance !

Il s’est arrêté là, mais j’ai senti quand même qu’il aurait bien pu, sinon voulu, ajouter ceci : « contre les hommes blancs, contre le patriarcat et contre le racisme » !

Juste avant de descendre du bus arrêté non loin du métro, je me suis fait la réflexion suivante : si le climat c’est à la fois la guerre et la paix, qu’est-ce au fond ? La phrase de Laurent Fabius n’a-t-elle pas une certaine tonalité orwellienne, tonalité qui transparaît dans beaucoup de discours sur le climat ? Car, en effet, qu’est-ce qu’un concept qui recouvre tout et son contraire ? En un mot, le climat c’est la guerre, la paix et le contraire des deux ! De quoi perdre le Nord !

Nous marchons jusqu’à la sortie du métro où nous voyons les gens courir avec une frénésie surprenante. J’hésite à me mettre à courir également. Mais, ayant commis l’erreur fatale de porter des chaussures de consultant de bureau à semelles en cuir, je suis dans l’incapacité de m’élancer avec les autres à la poursuite d’une inquiétude dont j’ignore la teneur. Une erreur que je corrigerai le jour suivant. Car la COP, c’est une course permanente ! J’aurais dû passer au Vieux Campeur avant de partir pour y acheter chaussures de marche, bâtons de randonneur ou de pèlerin et kit de survie en milieu hostile ! Quelqu’un me dira, dans la file d’attente : « On fait tellement de kilomètres à la COP, qu’on l’appelle déjà la ‘COP 28-kilomètres-à-pied-par-jour’ ! ». Amusant, et ça vous fait patienter dans la bonne humeur !

Mais revenons à nos fuyards ! Où vont-ils ? Pourquoi courent-ils ainsi ?

Il fait déjà chaud à 9 heures du matin et je commence à comprendre. Ils prennent leurs jambes à leur cou pour se rendre le plus vite possible dans une salle climatisée avec l’espoir incertain de pouvoir remettre en ordre costume ou mini-jupe, avant d’entrer dans une salle où se tient un Panel de Haut Niveau !

Au fond, ce sont des sortes de réfugiés climatisés !

Non, j’ai fait fausse route. Je finis par saisir, enfin, la véritable raison de cette précipitation collective : à cette heure de la matinée, il y a déjà plus d’une heure d’attente pour franchir les murailles extérieures de la COP ! Alors, pour y accéder, c’est un peu la guerre de tous contre tous !

Deux heures plus tard, me voilà muni de mon badge rose (celui des « Parties » à la COP). Quelle fierté ! J’entre sans plus tarder dans la forteresse et cherche immédiatement un plan pour me repérer. Et là je me vois à nouveau plongé dans une ambiance de guerre. J’apprends, en lisant le panneau qui me fait face, qu’il y a à la fois une Green Zone et une Blue Zone.

La Green Zone, vous vous souvenez sans doute, c’est cette enclave ultra-sécurisée située dans la ville de Bagdad qui fut créée par l’armée américaine en 2003, à la suite de la Guerre du Golfe, pour protéger des attaques terroristes son armée, les administrations d’occupation et le gouvernement collaborateur. Ça promet !

Dans la Green Zone, on se protège de quoi d’ailleurs ? Du climat et du CO2 ? Des chasseurs et des agriculteurs ? Des réfugiés qui arrivent ? Des critiques extérieures ? Des questions qui fâchent ?

Que cache ce discours martial ? La guerre est un état d’exception qui permet tout, me dis-je. Exception à la logique et aux lois de la science. Restriction des libertés et contrôle des corps et des esprits.

Des signes que nous sommes en guerre il y en a et il y en aura d’autres au cours de cette COP : les pays pauvres demandent aux pays riches d’abonder le Fonds Pertes et Dommages (pour réparer les dégâts de la guerre climatique) et un Fonds de la Riposte aux Changements Climatiques a été annoncé (pour élaborer, sans doute, les plans de bataille de la Grande Guerre contre l’ennemi invisible).

Mais de guerre lasse, je préfère ne plus songer à cette ambiance vert-kaki qui commence à m’oppresser.

C’est décidé, je commence par la Blue Zone, c’est moins effrayant comme appellation. Ce doit être là que l’on trouve les défenseurs de la veuve et de l’orphelin climatique, sorte de casques bleus au service de la paix. D’ailleurs, si je me souviens bien, le GIEC a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2007 (remarquons, cependant, qu’il n’a reçu ni le Prix Nobel de physique ni celui de chimie – peut-être un aveu du caractère plus politique que scientifique de nos fameux experts).

Allez, encore un effort et je suis sauvé ! Au bout du tunnel (à droite), il y a la Zone Bleue. Entrons dans l’espérance.

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Partie 2. On veut de l’argent … pour la décroissance !

Confinés à un espace d’une dizaine de mètres carrés délimité par un cordon bleu, un groupe de 15 personnes se meut en rythme sur des paroles scandées et répétées devant des pancartes colorées à l’entrée du bâtiment B où se déroulent les discussions sur le climat. Les militants du climat s’expriment bien et leurs panneaux sont peints avec précision : on sent qu’ils ont eu le temps de soigner leurs slogans et les moyens d’organiser leur happening. Il n’y a là rien de vraiment spontané et on a l’impression d’être face à des acteurs en train de réciter un scénario bien huilé, à des professionnels de la société du spectacle payés par un géant de la tech ou un as de la finance devenu philanthrope du climat. Vu les mesures de sécurité draconiennes à l’entrée de la forteresse climatique, nos révoltés du moment ont dû être invités ; j’aperçois d’ailleurs leurs badges dans un sac à dos posé sur le sol derrière eux. Ils savent qu’ils sont en territoire conquis et s’expriment avec confiance devant une foule (clairsemée) acquise à leur cause. La voix est haute et bien posée, sans les anicroches de l’improvisation ou les hésitations de la révolte sincère et naïve.

Je m’approche d’eux et je les entends crier les slogans habituels des activistes climatiques : « We want billions not millions ! » (« Nous voulons des milliards, pas des millions ! »). Derrière, un petit noyau ajoute en cœur après chaque phrase : « Degrowth, Degrowth, Degrowth » (« Décroissance, Décroissance, Décroissance »). Les quelques spectateurs – une trentaine – les accompagnent d’un timide « Yeah » ici ou là. Parmi eux, deux ou trois femmes élégantes en tailleur (et basket) lèvent le poing en signe d’approbation et de révolte (imminente) je suppose. D’autres filment la scène immémorable avec leur smartphone, sans doute pour la partager avec amis et collègues de bureaux après la COP, pour un débrief post-révolution ou comme preuve que la révolution est bel et bien en marche.

Je m’étonne. Et je m’interroge. La décroissance a-t-elle besoin d’être financée ? La pénurie est-elle fille de l’abondance ? Ne suffit-il pas d’arrêter tout financement pour assurer la décroissance ? Assistons-nous à la naissance d’un communisme à la sauce capitaliste ?

Si nous suivons cette logique, j’imagine que nous aurons bientôt de grands économistes de la décroissance. Et dans nos bibliothèques d’écoles et d’universités nous trouverons, bien mis en évidence, de nombreux ouvrages sur ces sujets épineux : « Comment détruire l’industrie en 10 leçons pour développer l’économie » ; « Comment créer une famine en moins de 3 ans pour sauver l’humanité » ; « Comment développer une misère durable, inclusive et pour tous ». Bill Gates aura sans doute préfacé chacun de ces ouvrages fondamentaux tant profonde est son ubiquité intellectuelle : nous l’aurons vu passer en quelques années de spécialiste du virus informatique à spécialiste du virus biologique, pour finalement donner ses recommandations sur le climat et les meilleures manières de nous assurer un hiver éternel. Il aura sans doute pondu également son propre ouvrage – cette fois-ci préfacé par Jancovici – sur l’inexorabilité de la décroissance et les bienfaits du rationnement alimentaire mondial. Son titre sonnera comme un tocsin (et un glas) : « La Richesse des Rations – Théorie générale de la faim ou misère de la boulimie ».

Boulimie de la misère.

Drôle de monde ! Il fut un temps, pas si éloigné, où l’on réclamait de l’argent pour favoriser la croissance, bâtir des usines, multiplier les emplois, couvrir la terre de champs pour nourrir l’humanité, construire des routes et des moyens de transport pour faciliter les échanges et découvrir le monde, développer les capacités de l’être humain, accomplir rêves et ambitions d’un nombre croissant de personnes. Maintenant on demande, à cor et à cri, des sous pour financer l’arrêt de l’économie, la mort du travail, pour assurer la pénurie, ralentir et limiter les transports, accentuer l’inertie !

Toujours cette logique orwellienne à l’œuvre dans cet univers étrange des logiques paradoxales auxquelles nous finirons par nous habituer, si ce n’est pas déjà le cas. Logiques qui nous amèneront toutes les misères du monde que le climat n’aura pas réussi à nous imposer à lui tout seul malgré ses éternels caprices.

Mais revenons à nos moutons.

J’en vois d’ailleurs un qui s’échappe du troupeau. J’en profite pour l’interpeller.

Je lui demande si ce n’est pas dangereux et irresponsable de promouvoir la décroissance. Il ne réagit pas. Alors j’enchaîne. Comment va-t-on, demain, nourrir 9 milliards d’êtres humains ?

Nous vivons dans un monde fini, alors on n’a pas…

Je vous laisse deviner la suite. La secte des « On n’a pas le Choix » semble s’être donné rendez-vous à la COP.

J’évite de montrer mon (léger) agacement intérieur. Je poursuis la discussion.

Êtes-vous certain que nous vivons dans un monde fini ?

Nous n’avons pas une infinité de ressources physiques me répond-il sèchement.

Avec de l’eau, du CO2 et du soleil, vous avez de la nourriture pour la nuit des temps répliqué-je aussitôt !

Il n’a pas l’air de bien comprendre ma réponse. L’idée que le CO2 puisse être associé à quelque chose de positif et à une sorte d’éternel retour miraculeux pour la vie sur terre n’est peut-être pas une pensée admissible pour lui.

Les énergies fossiles vont nous détruire, assène-t-il sur le ton de l’évidence.

Je préfère répondre avec des questions, une manière pour moi de l’inviter sur mon terrain en douceur.

Ces mêmes énergies qui ont sauvé les forêts d’Europe au 19ème siècle et les baleines au début du 20ème siècle ? Qui nous ont permis d’accomplir les incroyables progrès grâces auxquels nous avons mis fin à la malnutrition, à la mortalité infantile et qui nous ont permis de nous adapter aux températures trop froides ou trop chaudes, de faire face aux inondations, aux tremblements de terre et autres furies de dame nature ?!

Le CO2 nous tue (« CO2 is killing us ») réplique-t-il tout aussi catégorique.

Et s’il n’y avait pas assez de CO2 pour une croissance optimum des plantes ? Si, au lieu de voir le CO2 comme un ennemi, un polluant responsable des catastrophes naturelles, on le prenait pour ce qu’il est, une nourriture indispensable pour les plantes et la vie sur terre ?

Apparemment, mon bref éloge du CO2 n’a pas l’air de l’émouvoir ou de l’intéresser. Il me relance sur les énergies fossiles.

Elles vont bientôt s’épuiser. Il faudra bien passer à autre chose.

Avec le charbon et le gaz naturel n’a-t-on pas le temps de voir venir l’apocalypse et de s’y préparer ? Concernant le pétrole, nous pourrions le laisser mourir de sa mort naturelle…  D’ici-là, l’imagination sans borne et l’inépuisable ingéniosité de l’être humain ne parviendront-elles-pas à donner de l’infini à notre monde fini comme elles le font depuis des siècles ? Même le pétrole pourrait surgir du génie humain sous de nouvelles formes et à partir de nouvelles sources et couler dans les artères de nos civilisations pour de longs siècles encore ! L’énergie nucléaire actuelle, la fusion nucléaire de demain ne peuvent-elles, ne pourront-elles pas subvenir à nos besoins énergétiques avec un impact environnemental minimum ?

Vous voulez faire exploser la planète ?

Me prend-il pour un terroriste planétaire ?

Ça vous dit quelque chose Tchernobyl et Fukushima, ajoute-t-il ?

On se sépare sans achever ce dialogue discordant. Je le salue. Il est déjà loin.

Un autre petit groupe attend son tour pour remplacer le premier, pour crier d’autres slogans du même acabit.

Dans ce nouveau groupe il n’y a que des femmes et sur leurs banderoles on peut lire : « Women for Climate Justice » ; « Climate change is a feminist issue ». Les discours qui suivent ne laissent aucun doute : les femmes sont les premières victimes du réchauffement climatique.

Moi qui croyais que c’était les crustacés et les arthropodes !

Le CO2 serait-il machiste et sexiste en plus d’être réchauffiste ? Bien vilain en tous cas celui qui oserait le défendre après ça. Je sens qu’entre l’homme blanc chrétien occidental hétérosexuel de plus de 50 ans (comme moi) et le CO2, il y a une sorte de proximité dangereuse. Nous finirons par disparaître ensemble (et l’humanité avec, mais ça… !).

Au cours des jours suivants, je retournerai voir les happenings de la révolte organisée. Les thèmes abordés seront à peu près les mêmes : l’argent comme solution, la culpabilité et l’hypocrisie des Occidentaux, les inégalités accentuées, les femmes victimisées par le réchauffement climatique, les pauvres multipliés (comme des petits pains briochés qu’ils n’auront pas) et le climat déréglés, détraqués, devenu fou par notre faute, et enfin, les nuisances de l’industrie pétrolière, les méfaits du capitalisme, la nécessité de fermer boutique et de s’éclairer à la chandelle.

Rien sur les ours polaires et la grande barrière de corail. Peut-être parce qu’ils ne se portent pas si mal. Peut-être même que le réchauffement climatique leur est favorable. Je me demande si la nature, tout compte fait, ne préfère pas le chaud au froid, comme tous ces réfugiés climatiques – par intermittence – venus du Nord de l’Europe et qui envahissent les plages du sud de la France chaque été ? Pourquoi s’obstinent-ils à vénérer le chaud alors qu’on leur dit qui faut aduler le froid ? Mauvais sujets du mondialisme qui ne comprennent rien à la science du climat ! Infâmes négationnistes des vérités éternelles du GIEC. Des réchauffistes inversés.

Moi qui vis sous les tropiques, je me suis toujours dit que le manioc poussait mieux à l’Équateur qu’en Antarctique. Tristes experts du réchauffement anthropique.

Ainsi, je n’ai pas besoin de nier le réchauffement climatique ; je l’accueille avec un bonheur non dissimulé (même si, au fond, je le trouve trop timide).

Voilà une impertinence qui mérite certainement toutes les potences.

Avant de partir, un « manifestant » me tend un tract que j’accepte volontiers. Je vous en offre un extrait sans commentaire : « Global Fund for Women’s vision for climate justice is that women, girls, trans, and gender nonconforming people have the power and resources they need to lead resistance to capitalist and unjust systems that harm the environment… »[1]

J’ai le sentiment d’avoir assisté ce matin à des révoltes à la chaîne, ordonnées, sages. Taylorisées. Conformes et conformistes. Passées au tamis d’une « agence de com ».

Il est temps que j’aille me réfugier à l’ombre d’une salle climatisée. Je dois ménager mes forces si je veux survivre encore une semaine dans cette oasis de béton et de bons sentiments.

Pour moi, je l’avoue, la COP est (déjà) pleine !

(A suivre)

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Guillaume de Rouville

Décembre 2023

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[1] https://www.globalfundforwomen.org/what-we-do/gender-justice/climate-justice/

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