Réflexions sur un génocide en cours

Les chars avaient envahi les rues. Nous savions que cela n’annonçait rien de bon.

Un char, c’est une sorte de cyclope aveugle qui ne voit que pour tuer.

Devant nos yeux, pour nous sidérer et nous soumettre, un char roula sur le corps d’un enfant dont ils avaient lié les mains dans le dos. Pour l’exemple. Pour l’édification des âmes. Pour élever sur la souffrance humaine un Pays de Paysages sans Reproches. Pour taire l’innocence et le sacré.

Ils appelèrent ce char « le Char le Plus Moral du Monde ».

Les images furent diffusées. A satiété. Jusqu’à l’écœurement. Propager le message à l’enclume. Pour clouer le débat et le spectateur ; l’enfoncer dans sa non-réaction et son conformisme apeuré.

Le soldat sortit du char, brandissant un sourire radieux sur sa face bouffie d’héroïsme sanglant. 

Personne ne réagit.

Physique de l’effroi.

Métaphasique de la trouille.

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On ressent presque du dégoût à écrire sur le sujet tant notre impuissance à changer le cours des choses et des malheurs pèse de mille remords au milieu de la lâcheté collective de nos contemporains.

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Nous sommes les spectateurs impuissants du pourrissement de l’âme humaine.

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Si l’Occident n’était que décadent ce serait bien aisément supportable.

Mais qui a encore envie de sauver un édifice aussi vermoulu aux fondations empuanties par les remugles de nos valeurs en putréfaction ?

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Question simple et terrifiante : que reste-t-il d’une démocratie et de ses prétendues valeurs lorsque ses citoyens sont à ce point aveuglés par leurs principaux médias qu’ils ont perdu toute leur capacité intellectuelle à identifier un génocide qui se déroule devant leurs yeux ?

Et qu’ils ont abandonné tout courage pour crier leur indignation ?

Tout une éducation démocratique pour aboutir à ça. Un abandon. Une faillite. Une déchéance. Une indignité. Une défaite de la pensée et de l’âme. Une mort honteuse dont on ne revient pas.

Du « Plus Jamais Ça » pendant des décennies pour arriver à « Toujours et Encore ».

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Autant d’images des crimes pour ne voir que les images sans les crimes.

Le signifié disparaît devant le spectacle.

Vu, mais pas pris.

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A-t-on peur à ce point de l’accusation d’antisémitisme que l’on préfère se taire devant l’indicible que de risquer l’épithète infâmant ?

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Nous sommes devenus islamophobes par peur d’être traités d’antisémites.

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L’homme occidental, qui est prêt à vous dénoncer aux autorités si vous oubliez de recycler vos poubelles, n’élève pas le plus petit timbre de sa voix devant le show génocidaire mondialisé.

Crimes médiatiques & l’esprit du temps

Les principaux médias des régimes démocratiques occidentaux sont, à quelques exceptions près, complices du génocide en cours à Gaza contre les Palestiniens. Ils commettent, presque en continue, des crimes médiatiques sous la forme d’un soutien explicite ou implicite à la politique génocidaire du gouvernement israélien.

D’une manière générale, ils protègent les auteurs du génocide en masquant ou minimisant les crimes en train d’être commis ; ils effacent la cruauté et l’ampleur de ces crimes derrière l’excuse de légitime défense et qualifient les victimes de « terroristes en puissance » et ceux qui essaient de les défendre, ou simplement qui s’indigent des souffrances qui leur sont imposées, d’islamo-gauchistes et d’antisémites. Autrement dit, ils normalisent les massacres de masse et pointent du doigt ceux qui les dénoncent.

S’opposer à un génocide en cours est devenu, en Occident, un acte antisémite ; déplorer et dénoncer la mise à mort de dizaines de milliers de femmes et d’enfants dans des conditions atroces, de centaines de journalistes ou de docteurs et de personnels médicaux[1]est considéré comme une apologie du terrorisme ou une manifestation de haine qu’il conviendrait de réprimer (médiatiquement et judiciairement).

Les médias occidentaux sont parties prenantes de cette capitulation morale générale.

Dans un article de juin 2012, intitulé Crimes médiatiques : les conséquences meurtrières de la désinformation nous disions que “les crimes médiatiques sont une composante à part entière des crimes politiques plus généraux qui ensanglantent la scène internationale où nos dirigeants déchaînent leur volonté de puissance. Sans une complicité active des médias atlantistes avec les élites occidentales les guerres en Irak et en Afghanistan, le dépeçage de la Libye et la descente aux enfers de la Syrie, n’auraient pas pu être réalisés aussi facilement.

Dans un autre article de 2012, intitulé l’Esprit du Temps ou l’islamophobie radicale nous tenions les propos suivants :

« Cette islamophobie ambiante est radicale en ce sens qu’elle permet de légitimer l’usage, à une échelle globale, par les Occidentaux, de la violence la plus extrême (guerres, tortures, dommages collatéraux, terrorisme d’État) contre des populations musulmanes qui sont présentées comme coupables des crimes qu’elles subissent. Torturer un Musulman est considéré comme un acte de recherche de la vérité et non pas comme un acte barbare, cruel et inhumain. D’une certaine manière, l’islamophobie radicale implique la mise à mort de ‘l’autre’ Musulman au nom de la bonne conscience à toute épreuve de l’homme blanc occidental. (…)

Le paradoxe apparent de l’islamophobie radicale, c’est que ses promoteurs s’allient volontiers avec l’Islam, lui aussi radical, d’inspiration wahhabito-salafiste, pour mettre en œuvre le choc des civilisations. Cela relève d’un faux paradoxe et d’une ambiguïté propre à servir les intérêts géopolitiques des Occidentaux et des Wahhabites. »

Nous concluions cet article en manifestant l’espoir “qu’un jour il ne soit pas interdit et considéré comme criminel de tendre la main à un Musulman.”

Nous en sommes là aujourd’hui. Nous avons collectivement été programmés par les médias de nos régimes démocratiques, pendant plusieurs décennies, afin de ne plus ressentir de compassion à l’égard d’un « autre » bien identifié que nous avons accepté de voir transformé en bouc-émissaires de nos passions politiques les plus viles et les plus dangereuses.

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Origine & objectifs

La préparation des esprits à l’acceptation du pire a débuté il y a plus de trois décennies quand les Occidentaux se sont lancés délibérément dans la « lutte contre le terrorisme » et le « choc des civilisations ».

Il fallait à l’Occident fabriquer un nouvel ennemi après la chute de la puissance soviétique. Pour rassembler autour de lui les énergies nécessaire à son maintien, l’empire américain a embarqué l’Occident dans une nouvelle conquête du chaos tous azimuts.

Voici ce que nous affirmions en avril 2012 dans un article intitulé « L’Occident à la Conquête du Chaos : le Cas Syrien » :

« Les États-Unis cherchent, avec une énergie renouvelée depuis le 11 septembre 2001, à renverser, par tous les moyens, les régimes qui ne se soumettent pas à leur vision du monde et n’acceptent pas une Pax Americana qui se nourrit de guerres et de ‘chocs entre les civilisations’. Wesley Clark (Commandant Suprême des Forces militaires de l’Otan de 1997 à 2000) rappelle, dans une interview du 2 mars 2007 [1], que la liste des régimes visés par l’ire américaine au lendemain du 11 septembre 2001, comprenait, tout spécialement, ceux des pays suivants : l’Irak, la Libye, la Syrie, le Liban, la Somalie, le Soudan et l’Iran. Plutôt que de soutenir des oppositions démocratiques aux régimes visés (ce qu’ils font de manière très marginale) les États-Unis ont choisi de recourir principalement au terrorisme islamique pour déstabiliser puis renverser les leaders politiques des pays qui contrarient ou contestent leur volonté de puissance hégémonique (volonté exprimée sans complexe dans de nombreux documents militaires rendus publics ou dans les publications des think-tanks néoconservateurs). Pour ne pas agir trop à découvert, ils utilisent le vivier de djihadistes qu’ils ont créés, armés, financés dans les années 80 en Afghanistan pour combattre l’Union Soviétique, vivier que l’on appelle couramment Al Qaeda, mais qui n’est que l’ensemble des combattants entraînés puis armés par les États-Unis et leurs alliés islamistes que sont l’Arabie Saoudite et le Pakistan depuis plus de 30 ans. Au même moment, cette alliance contre-nature entre la principale puissance occidentale et les principaux représentants de l’Islam radical le plus obscurantiste, s’est vue renforcée par Israël dont les objectifs géopolitiques propres concordent, dans cette région du monde, avec ceux des États-Unis. Les néoconservateurs américains sont la synthèse parfaite de ce rapprochement idéologique entre les États-Unis et Israël (la plupart des néoconservateurs américains ayant également la nationalité israélienne ou ayant des liens très étroits avec le Likoud israélien). Les puissants liens financiers et économiques de ces néoconservateurs avec l’Arabie Saoudite sont également l’un des ciments de cette alliance surprenante.”

Pour les États-Unis, il s’agit de contenir la Russie et la Chine, de maîtriser l’accès à un certain nombre de richesses naturelles et, enfin, de répondre à une vision impériale de leur propre pays qu’ils qualifient volontiers de ‘benevolent hegemon’. Pour Israël, il s’agit d’accomplir petit à petit le rêve du Grand Israël qui passe par la destruction des États-nations de la région et leur découpage en entités plus petites sur des lignes ethnoreligieuses propres à créer les tensions nécessaires à l’affaiblissement durable de leurs adversaires potentiels. Pour l’Arabie Saoudite, il s’agit d’écraser des régimes laïques indépendants de son influence, et de contrecarrer la montée en puissance des Chiites sous influence iranienne tout en imposant sa vision moyenâgeuse de l’Islam aux peuples musulmans, alors même que ses élites sont totalement occidentalisées et corrompues par les valeurs marchandes du capitalisme consuméristes occidental. Voilà, très brièvement, pour la vision géostratégique de cette alliance Wasp-Wahhabite-Sioniste dont la force réside dans ses contradictions apparentes et dont l’instrument géopolitique privilégié est le terrorisme islamique”.

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Radio Mille Collines

Par un traitement éditorial ciblant de manière disproportionnée les musulmans, les médias occidentaux reproduisent des mécanismes de conditionnement des esprits à la haine de l’autre que l’on a vu à l’œuvre au Rwanda dans les années 1990. Cette stratégie éditoriale, qui présente une communauté entière comme un problème permanent, participe à la construction d’un « autre » menaçant et légitime progressivement l’hostilité à son égard, ici (en France, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne) ou ailleurs (en Palestine).

Le génocide rwandais de 1994, qui a coûté la vie à plus d’un million de Tutsis et Hutus modérés en l’espace de cent jours, illustre de manière tragique le pouvoir destructeur des médias lorsqu’ils sont instrumentalisés à des fins génocidaires. La Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), créée en 1993, incarne parfaitement cette dérive meurtrière de l’information.

RTLM s’est imposée comme le principal vecteur de propagande haineuse avant et pendant le génocide. La station a joué un rôle déterminant dans la préparation psychologique du génocide, normalisant progressivement la violence et présentant l’extermination des Tutsis comme une nécessité de survie pour les Hutus.

Pendant les massacres, RTLM a franchi une étape supplémentaire en coordonnant directement les tueries. Ses animateurs diffusaient en temps réel les noms et adresses de personnes à abattre, guidaient les miliciens vers leurs cibles et encourageaient la population à participer aux massacres. La radio est ainsi devenue un véritable instrument de guerre, transformant l’information en arme létale.

Ses dirigeants ont été jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda : Ferdinand Nahimana, directeur de RTLM, Jean-Bosco Barayagwiza, membre du conseil d’administration, et Hassan Ngeze, directeur du journal Kangura, ont été condamnés en 2003 à de lourdes peines de prison pour « incitation directe et publique à commettre le génocide ».

Cette jurisprudence établit une responsabilité pénale internationale des médias dans la commission de crimes de masse.

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Rôle des médias

Préparer les esprits à l’impensable. Préparer les yeux à ne pas voir. Invisibiliser la souffrance.

Et si le meurtre finit par se voir, il faut le rendre acceptable.

Et s’il n’est pas suffisamment accepté, il faut alors terroriser ceux qui s’y refusent.

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CNews, c’est l’équivalent de Radio Mille Collines. La haine en flots continus, 24h sur 24. Plus aucun répit dans l’infâme.

Une perfusion d’immondices déversés dans les cerveaux malades des Occidentaux.

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À chaque enfant tué, le Soldat exultait. Il poussait des cris de joie. Des rires s’ensuivaient qui hanteraient les nuits éternelles.

À chaque enfant tué, le Soldat dansait. Puis il entonnait une comptine pour éteindre l’âme-enfant dans l’éternité de l’oubli.

À chaque enfant tué, le Soldat sentait en lui la fierté du devoir accompli l’envahir et il recevait la Prime du Mérite et de l’Honneur des mains du Ministère de l’Enfance et de l’Éducation.

Pour chaque centaine d’enfants abattus le Soldat pouvait donner son nom à la fosse commune qui allait les accueillir dans sa béance carnacière.

Dévorer les corps et broyer leur souvenir. Effacer leurs traces des pages de l’Histoire Commune.

Enfants perdus, tués et livrés à l’oubli.

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Les Dieux ont soif, jusqu’à la lie[2]

Le conflit israélo-palestinien a révélé une dimension particulièrement troublante de la programmation de nos principaux médias : la banalisation de discours déshumanisants visant les Palestiniens, rappelant de façon saisissante les mécanismes de diabolisation observés au Rwanda.

Le cas le plus extrême est celui de l’avocate franco-israélienne Nili Kupfer-Naouri, présidente de l’association « Israël is forever », invitée régulièrement sur les plateaux de CNews sans contradiction réelle. Le 26 octobre 2023, dans Morandini Live, elle déclare sans détour : « Il n’y a pas de populations civiles innocentes à Gaza » et « Aujourd’hui nous voulons que Gaza soit rasée, que notre aviation pilonne toute la ville, qu’il ne reste plus rien de Gaza et qu’on puisse installer une grande réimplantation juive« . En septembre 2024, elle se réjouit de « la destruction de Rafah » et clame qu’ »il faut une souveraineté juive sur toute la bande de Gaza« . En 2025, elle déplore que « tous les Gazaouis n’aient pas encore été exterminés« .

Malgré ces propos constituant clairement une apologie de crimes contre l’humanité, Kupfer-Naouri continue d’être invitée sur CNews. Le Parquet national antiterroriste a ouvert des enquêtes pour « complicité et incitation au génocide » en 2024, mais aucune inculpation formelle n’a été prononcée.

Loin de condamner ces propos, le journaliste Morandini les excuse en ces termes : « Mais voilà, après, quand on a vécu ce qu’on a vécu en Israël, on peut, sous le coup de l’émotion… », normalisant ainsi l’appel au génocide.

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La caution intellectuelle

Bernard-Henri Lévy, figure récurrente de CNews et de BFM-TV, apporte une forme de légitimation intellectuelle à ces discours. Il développe une rhétorique plus sophistiquée mais aux effets similaires[3].

Sur BFM-TV, il assure qu’ »il faut dénazifier Gaza« . Il présente systématiquement l’opération militaire israélienne comme une « libération des Palestiniens de leur emprise mortifère, dictatoriale et nazie« , niant toute légitimité à la résistance palestinienne. Il s’inquiète que « le 7 octobre devienne un point de détail de l’Histoire » tout en minimisant les dizaines de milliers de morts palestiniens.

Les victimes du génocide sont des nazis, alors, que voulez-vous, il faut bien prendre nos responsabilités et massacrer les Palestiniens jusqu’à leur libération. Leur mort les rendra libres. Tel est le slogan moral de notre philosophe jargonneux et pédant.

Allez, encore un peu de philosophie botulienne pour désespérer de l’intelligence (in)humaine : « La mort des civils de Gaza n’est pas un massacre » (dans Solitude d’Israël – Grasset, 2024).

Près de 20 000 enfants assassinés en moins de deux ans, dont des dizaines par balles logées dans la tête par des snipers, c’est une sortie scolaire qui a mal tourné en raison de l’indiscipline d’une marmaille bruyante et agitée ?

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L’autre collabo[4]

Michel Onfray a explicitement déclaré, lors d’une intervention sur CNews[5], que la situation à Gaza ne constituait pas un génocide. Il argumente en comparant la situation à Gaza à celle de la Cisjordanie : « Si vraiment il y avait un génocide, ce n’est pas seulement sur Gaza qu’il y aurait des problèmes, c’est sur la Cisjordanie aussi. Il faudrait détruire les Juifs, les Palestiniens, et bien il y aurait aujourd’hui des traitements militaires sur la Cisjordanie aussi. Il n’y a rien sur la Cisjordanie, donc ce n’est pas un génocide. » Cette affirmation vise à démonter, nier l’idée d’une volonté d’extermination systématique des Palestiniens par Israël, puisque selon lui, une telle intention aurait dû s’étendre à l’ensemble des territoires palestiniens.

En plein génocide, Michel Onfray, va encore plus loin et nuance son jugement sur Benjamin Netanyahou en soulignant que ce dernier « dit des choses justes… c’est une guerre de civilisations »[6]. Il développe cette idée en rappelant qu’Israël reste une démocratie, même si elle est « imparfaite » : « Il n’en demeure pas moins que ça reste une démocratie. Et qu’une démocratie imparfaite est toujours mieux qu’une théocratie parfaite. »

Pour finir, entendons ses propos qu’il a tenus sur CNews le 18 février 2024 alors que l’armée israélienne avait déjà massacré des milliers de palestiniens : « Je suis allé dans les territoires occupés, en Israël, et j’ai vu ces jérémiades permanentes des Palestiniens qui disent : On a rien, on ne peut pas acheter des violons pour que nos petites filles puissent apprendre à jouer du violon, on est miséreux, etc. »

Arrêtez donc de vous plaindre. Ayez un peu de gratitude envers vos bourreaux.

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La redéfinition restrictive du génocide

Elisabeth Badinter, interrogée sur BFMTV le 26 mai 2024, affirme sans détour : « Parler de génocide à Gaza est une honte et un non-sens historique« .

Sa justification révèle une manipulation sémantique : « Le génocide est la volonté de détruire jusqu’à la dernière personne d’un peuple, d’une nation. Ce n’est pas du tout ce qui se passe ici« . Cette définition restrictive ignore délibérément la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, qui qualifie de génocide l’intention de détruire « en partie » un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

Badinter oppose également la « guerre » au « génocide« , comme si les deux concepts étaient mutuellement exclusifs : « C’est la guerre, c’est épouvantable mais c’est la guerre« . Cette dichotomie artificielle efface le fait que la plupart des génocides de l’histoire se sont déroulés dans un contexte de guerre.

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Trois philosophes français au service d’un génocide.

Tant de réflexions et de livres pour aboutir à ce désastre moral et intellectuel.

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Une autre cible de cette étrange guerre furent les cimetières.

Pourquoi détruire un cimetière rempli de morts enfouis ?

Pour effacer le nom des morts. Faire disparaître la trace d’une existence et d’un passé. Parce que l’enfouissement n’est que celui des corps et non point celui des esprits, ni des âmes qui habitent les replis du temps et voyagent le long de son écoulement éternel comme un courant sous-marin qui charrie à la surface les souvenirs de leurs périples.

Pour dire : la terre ne fut pas fécondée par eux. Là git le vide. Là nous ferons fleurir les vergers à partir du néant. Nous apportons l’Être.

On ne peut graver son nom dans des amas de gravats. Les visages s’effacent dans les éclats de brume.

Curieuse obsession de ces guerriers sans courage partis combattre des armées de morts enfermés dans la terre. On a vu quelques-uns d’entre eux sortir les corps récemment enterrés, les aligner, leur remettre les mains derrière le dos, ou ce qui en restait, les frapper, les injurier, leur cracher dessus, puis les mitrailler à même le sol avant d’envoyer les bulldozers ravager les restes et les réduire en poussière.

Mais là fut leur grande erreur, car la poussière, plus légère que l’air, emportée par les vents, parcourut les quatre coins de l’univers et vint semer le souvenir du sacrilège à la surface du monde connu et des mondes invisibles. La résistance s’éleva sur le fumier des Âmes Féroces, leurs sacrilèges et leur morgue sans borne.

Car oui, nous avons des bornes, des limites invisibles que trace le sacré dans l’ordre immatériel du monde moral.

« Pas de quartier pour la morale » était l’un des cris des Âmes Féroces inscrit sur le fronton de leurs Temples et de leurs Chars.

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Le dogme de l’infaillibilité démocratique

Ce dogme[7] (les démocraties ne peuvent pas vouloir le mal), bien ancré dans nos sociétés occidentales, transforme automatiquement les interventions militaires de nos pays en missions de libération, leurs guerres de conquête en épopées pour la liberté, leurs crimes de masse en simples erreurs techniques ou dommages collatéraux de bonnes intentions.

Ce dogme crée une véritable incapacité cognitive à concevoir le mal dans l’action des démocraties occidentales. Les citoyens développent une résistance psychologique profonde à l’idée que leurs dirigeants démocratiquement élus puissent commettre des actes répréhensibles qui peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité et de génocides, cette pensée étant littéralement « au-dessus de leurs forces ou de leurs défenses immunitaires psychologiques ».

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L’Occident est incapable de s’imputer de mauvaises intentions. Là réside toute son inhumanité.

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La démocratie comme alibi.

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L’exception démocratique : la démocratie efface le crime.

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Si l’adversaire n’est pas démocratique, tout est permis.

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L’immunité démocratique : une rhétorique de légitimation du génocide

Dans le paysage médiatique occidental, une argumentation particulièrement pernicieuse s’est développée pour nier la réalité des crimes commis contre les Palestiniens : l’invocation du caractère « démocratique » d’Israël comme garantie d’impossibilité génocidaire.

Le député Meyer Habib, représentant les Français de l’étranger pour la circonscription incluant Israël, illustre cette argumentation. Le 10 octobre 2023, trois jours seulement après les attaques du Hamas, il interpelle le gouvernement français : peut-il « assurer que la France fera confiance à Tsahal, l’armée la plus morale du monde » ?

Cette formule, répétée à l’envi par les dirigeants israéliens et leurs soutiens internationaux, vise à disqualifier par avance toute accusation de crimes de guerre. Elle établit une hiérarchie morale implicite où l’armée israélienne, par son appartenance à une « démocratie », ne saurait commettre les mêmes exactions que les armées de « dictatures ».

Elle n’est pas la plus morale du monde parce qu’elle ne tue pas en masse des femmes et des enfants. Elle est la plus morale du monde parce qu’elle est l’armée d’un pays démocratique.

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Entendu à l’Assemblée Nationale française : “Israël ne peut pas commettre un génocide puisque c’est une démocratie.

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Logique perverse de l’exception démocratique : les vies israéliennes valent plus que les vies palestiniennes car les premières appartiennent à une « démocratie ».

Cette logique justifie la disproportion considérable des bilans humains.

Cette disproportion disqualifie tout recours à l’idée de légitime défense.

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Tuez-les tous, la démocratie reconnaîtra les siens.

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Un agresseur démocratique est toujours en état de légitime défense face à une autorité politique ou morale qualifiée de non-démocratique.

Même si le régime démocratique est à l’origine du caractère non-démocratique de l’entité disqualifiée.

Même si c’est la démocratie qui agresse en premier.

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Le monde n’en n’a-t-il pas assez de nos bonnes intentions ?

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Une fois qu’ils eurent tué tous les enfants, ils voulurent s’assurer que les mères périssent aussi, car elles pouvaient bien porter l’espoir en elles.

Alors, l’Armée des Drones partit à la chasse ; cherchant frénétiquement à débusquer les restes de l’armée des ombres maternelles.

Arrivés à la hauteur des ruines qui touchaient le ciel de leurs décombres de matières et d’humains mêles, les Drones émettaient le son des pleurs d’enfants réclamant l’attention d’une mère.

Les mères attendries sortaient, quelque fois accompagnées d’un homme, et, pendant qu’elles cherchaient en vain l’enfant perdu, elles étaient fauchées par les machines imperturbables.

Elles seront notre courage et notre fortitude pour les siècles à survivre dans le cloaque de l’histoire humaine.

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La fonction de l’alibi démocratique :

  • Créer une immunité critique : En sacralisant le caractère démocratique d’un régime, cette rhétorique vise à rendre impensable toute accusation de crime contre l’humanité.
  • Légitimer l’illégitimable : Elle permet de justifier par avance toute action militaire, si brutale soit-elle, au nom de la « défense de la démocratie ».
  • Paralyser l’action judiciaire : Elle contribue à empêcher les sanctions contre le régime en train de commettre un génocide en culpabilisant par avance toute intervention.
  • Désensibiliser l’opinion : Elle habitue l’opinion publique à considérer comme « normaux » des crimes qui seraient jugés inacceptables s’ils étaient commis par d’autres régimes.
  • Disqualifier l’adversaire : Il ne pourra jamais se qualifier de victime.

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Génocides mes amours – Périodes démocratiques récentes

  • États-Unis : Génocide des peuples autochtones (débuté sous la responsabilité des puissances européennes présentes). N’est-ce pas cela le rêve américain ? Réussir son génocide. Ignorer sa propre culpabilité.
  • Australie : Génocide des Aborigènes.
  • Canada : Génocide culturel des peuples autochtones.
  • Angleterre : La grande famine iranienne (1917-1919) et ses millions de morts délibérés.
  • France : Complicité dans le génocide rwandais. Peut-être pour célébrer le bicentenaire du premier génocide moderne et démocratique accompli par la République française ?
  • Occident collectif : 4 millions de morts en moins de trente ans suite à l’effondrement des régimes irakien, lybien, syrien.

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De la perversité des concepts géopolitiques occidentaux : on est passé de la Guerre Préventive (déjà une belle saloperie) au Génocide Préventif (un summum dans l’abject).

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L’excuse ?

Un génocide (réel) comme légitime défense contre un génocide potentiel (fantasmé).

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Article 122-5 du Code Pénal français sur la légitime défense :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. »

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Article 7 de la Cour pénale internationale :

« Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

a) Meurtre ;

b) Extermination ;

c) Réduction en esclavage ;

d) Déportation ou transfert forcé de population ;

e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en

violation des dispositions fondamentales du droit international ;

f) Torture ;

g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;

h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste

au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement

reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout

acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence

de la Cour ;

i) Disparitions forcées de personnes ;

j) Crime d’apartheid ;

k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de

grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ».

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Le rôle des médias et des Philosophes (suite)

Nous donner goût au génocide.

Apprivoiser le crime et chérir l’inhumain en nous.

Transmuter le réel.

Un génocide commis par amour pour l’autre.

Un génocide acceptable. Excusable.

Un génocide en chantant. Joyeux.

Un génocide pour mettre fin à tous les génocides.

Autrement dit : le génocide “le plus moral du monde”.

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Un génocide pour faire des selfies. Se déguiser avec les habits de ses victimes et rire aux éclats.

Une fraternité (dans la bassesse).

Une camaraderie (dans la fange).

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Et la boue monta jusqu’au ciel.

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Un génocide en forme d’œuvre d’art inspirée de Magritte. Sur-réaliste. Au-delà du réel.

Ceci n’est pas un génocide” a dit l’artiste qui a mis son nom au bas des ruines.

« A la beauté stupéfiante » aurait dit un intellectuel français[8] (encore un de ces mondains de l’intelligence en pamoison devant un génocide), préférant les belles phrases à la sèche morale et à la sobre dignité du silence.

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Un génocide pour relancer la construction.

Une démolition pour reconstruire.

Un génocide de promoteurs immobiliers.

Du Jourdain à la Riviera.

Quand le béton va, tout va !

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Évidemment. Un génocide pour vendre des armes et des technologies militaires. Mais plus encore. Un génocide pour les tester avant de les vendre à d’autres. Une sorte de grand salon international de l’armement et de la souffrance.

Une ode à l’innovation et à Thanatos.

Les Palestiniens comme cobayes pour certifier la qualité d’une marchandise.

Testeurs de camelotes occidentales à exporter aux quatre coins du monde.

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Un génocide dont la définition (et même la simple énonciation) le fait disparaître.

Aussitôt dit, aussitôt effacé.

Néantisé.

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La démocratie est une sorte d’état d’exception permanent qui permet de béatifier (légitimer) tous les crimes et toutes les conquêtes.

Si vous voulez continuer à gouverner au nom des foules (ou des peuples), il faut donc démocratiser vos crimes.

Le génocide même, si besoin. Autrement dit, qu’il soit accepté par une majorité de vos concitoyens. En faire un génocide populaire ; un spectacle high-tech auquel on vient assister en famille en buvant une bière.

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Avec la démocratie, les crimes de masse se parent des vertus de la morale populaire et du consentement des peuples.

Il y en aura pour tous les goûts.

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Le judaïsme est mort à Gaza.

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Paroles officielles. Clarté de la haine.

 Le 3 novembre 2023, le Premier ministre Benyamin Netanyahou envoyait une lettre publique aux soldats israéliens dans laquelle il affirmait : « Souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait », référence biblique à l’ennemi d’Israël.

 (Samuel 15:3) : « Va maintenant, et frappe Amalek, et détruisez à la façon de l’interdit tout ce qu’il a, et ne l’épargne point ; mais fais mourir tant les hommes que les femmes ; tant les grands que ceux qui tètent, tant les bœufs que le menu bétail, tant les chameaux que les ânes. »

Le 14 octobre 2023, le président israélien, Isaac Herzog, déclarait à propos de Gaza : « C’est une nation entière qui est responsable. Cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas conscients et ne sont pas impliqués est absolument fausse. »

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Conséquences

De la construction du bouc-émissaire à son élimination. Après Gaza, l’Europe ?

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Conclusion

Absence de supériorité morale de la démocratie. Une simple supériorité technique et bureaucratique tout au plus.

L’impossible culpabilité de la démocratie révèle sa nature psychopathique.

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Une définition pour en finir avec l’infâme :

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948 en son article 2 entend par crime de génocide « l’un quelconque des actes ci-après commis dans l‘intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

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Un cri.

Au bord du silence.

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Les spectacles les plus populaires étaient ceux du soir où, après avoir réuni des femmes et des hommes dévêtus dans un enclos fait de barbelés, on annonçait sur les haut-parleurs que les Drones Nettoyeurs feraient bientôt place nette.

Quelques minutes avant que le spectacle ne commence on sortait les boissons et préparait la table pour poser les victuailles qui accompagneraient le son et les lumières de l’événement enchanteur. On chantait des chassons pour se donner de la gaieté et patienter. Ce n’est pas facile de patienter lorsque l’on a envie de voir ce à quoi on a droit parce qu’on a payé pour cela.

À chaque drone s’écrasant sur une foule à la recherche d’un abri ou de nourriture, les spectateurs exultaient, applaudissaient à tout va, transi d’un bonheur sanglant, dégustant le goût du carnage et se rassasiant de haine.

Il y eut des centaines de veillées et d’agapes funestes.

Les médecins partirent ainsi et disparurent.

Puis les journalistes.

Puis les enseignants.

Puis la guerre prit fin faute de vivants.

Pas tout à fait, à dire vrai. La guerre s’acharna à détruire les ruines une fois effacé le monde des vivants.

Non pas les ruines résultant des attaques de drones. Mais celles laissées par les ancêtres millénaires des victimes effacées, comme trace d’une longue histoire à oblitérer.

La longue histoire fut réduite en cendre pour que ne subsiste que le Grand Récit.

Mais les cendres, comme la poussière, s’envolèrent aux quatre coins de l’atmosphère du monde connu et continuent, à ce jour, à pénétrer chacune de nos respirations et à habiter nos songes de jours meilleurs.

Guillaume de Rouville

Fin juillet 2025


[1] Clairement identifiés comme tels.

[2] Nos exemples seront tités de l’univers médiaqtiques français (mais les mêmes processus et ressorts sont à l’oeuvre aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, les pays les plus alignés sur la politique génocidaire en cours).

[3] Voir son argumentaire : https://www.lepoint.fr/editos-du-point/il-n-y-a-pas-de-genocide-a-gaza-22-11-2024-2576000_32.php

[4] Référence au titre du nouveau livre de Michel Onfray (février 2025) : « L’autre collaboration – le nouvel essai de Michel Onfray. Les origines françaises de l’islamo-gauchisme »

[5] https://www.youtube.com/watch?v=2nQeGRsrLIQ

[6] https://www.youtube.com/watch?v=uQa3rw8J160

[7] Voir sur le sujet : https://lidiotduvillage.org/le-dogme-de-linfaillibilite-democratique/

[8] Référence aux propos de Jean D’Ormesson tenus dans Le Figaro en juillet 1994 où il « évoquait « des massacres grandioses dans des paysages sublimes »

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