Rétrospective des 10 ans de l’idiot : Avril 2002

À l’occasion des 10 ans du site nous reprenons à la une quelques uns des articles de l’Idiot, emblématiques de la décennie écoulée. 

Nous commençons par un article sur l’Atlantisme qui date d’avril 2002. Il s’agissait de pointer du doigt le manque de pensée stratégique militaire au sein de l’Europe. Le constat, dix ans après, est, malheureusement, strictement identique. La situation est peut-être pire encore, car l’Europe est, aujourd’hui, plus fortement atlantiste qu’il y a dix ans.

Europe-USA : La soumission, la fusion ou la guerre

par Guillaume de Rouville

 

Si l’Idiot du Village devait se prendre pour le Richard Perle européen, voici ce qu’il dirait :

Dans ses rapports avec les Etats-Unis, l’Europe a le choix entre trois solutions radicalement différentes : la soumission à la toute-puissance américaine ; la fusion intégrale en raison d’intérêts communs bien compris ; ou la guerre pour tenter de préserver son indépendance. Des trois solutions, seule la première doit être rejetée avec pugnacité.

La Soumission

La soumission est la solution de facilité dans la mesure où elle est déjà une réalité même si, pour des raisons évidentes de psychologie des foules, on entretient les peuples européens dans l’illusion d’une Europe en marche vers sa propre destinée. Les dirigeants européens se sont depuis longtemps fait à l’idée d’une Europe dont la politique étrangère serait décidée par le Président américain. Cette résignation s’est manifestée par l’abandon de toute idée sérieuse de créer une armée européenne. La baisse constante, depuis plus de dix ans, des budgets militaires de tous les pays européens , est le signe de notre volonté de nous décharger d’une des tâches les plus ingrates de toute civilisation : neutraliser son rival avant d’en subir le joug. L’Europe a abandonné sa volonté de puissance aux Américains pour les remercier de l’avoir sauvée du néant il y a près de soixante ans . Cette stratégie des miettes, dont l’Europe se satisfait, l’humilie et l’affaiblit chaque jour d’avantage.

La Fusion

Les Européens font figure de citoyens de seconde zone si on les compare aux citoyens américains. Leur vie économique se décide à New York, leur vie politique à Washington, et on leur refuse le droit, somme toute élémentaire, de voter pour celui qui préside à leur destinée : le Président des Etats-Unis d’Amérique. On leur dénie aussi le droit de se protéger : cette protection est pour le moment aléatoire et dépend du bon vouloir des Etats-Unis, c’est-à-dire, de leurs intérêts capricieux. Rien ne nous assure que dans le future les Etats-Unis n’auront pas intérêt à laisser l’Europe sombrer dans les abîmes du chaos avant de se porter à son secours ou de prononcer son oraison funèbre. L’Europe doit fusionner avec les Etats-Unis pour bénéficier, avec les mêmes garanties, de la première armée du monde, du bouclier anti-missiles et des programmes d’armements spatiaux. L’Europe et les Etats-Unis partageant les mêmes idéaux, puisés aux mêmes sources culturelles, la fusion ne devrait pas faire l’objet d’obstacles majeurs au sein des élites dirigeantes et, par conséquent, au sein des populations sur lesquelles ces élites exercent leur pouvoir. Les dirigeants européens et américains ont en commun cette cruelle conviction que leur prospérité dépend du malheur du monde ; cette communauté de vues facilitera le rapprochement des deux continents. L’Europe peut et doit devenir le 51ème Etat des Etats-Unis d’Amérique.

La Guerre

Pour pouvoir être une puissance respectée économiquement, l’Europe doit devenir une puissance militaire capable de rivaliser avec les Etats-Unis et, s’il le faut, doit avoir recours aux menaces, puis, éventuellement se lancer dans un affrontement économique et militaire (comme au temps de la guerre froide entre les USA et l’Union Soviétique, par Etats interposés et conflits délocalisés) avec les Etats-Unis. Cette solution d’indépendance est sans aucun doute la plus dangereuse pour l’Europe. Les Etats-Unis sont prêts à tout pour ne pas perdre leur suprématie planétaire au XXIéme siècle. Parions même qu’ils sont prêts à susciter un conflit entre l’Europe et un pays tiers, propre à nous affaiblir suffisamment pour nous renvoyer à notre état de mendiant planétaire, avant que nous soyons en mesure de leur tenir tête . Pour parvenir à cette indépendance, des décisions radicales s’imposeront : marginalisation de l’Angleterre au sein de l’Union Européenne ; augmentation substantielle des dépenses militaires ; absence d’élargissement de l’Union Européenne à d’autres pays ; signature d’accords de coopération militaire et économique avec la Russie et l’Inde ; rétablissement de l’équilibre de la terreur (avec l’appui stratégique de la Russie et de l’Inde, voire de la Chine) ; dénonciation de l’OTAN comme un instrument d’hégémonie américaine ; révélation au grand public européen des enjeux stratégiques de la politique américaine ; effort de propagande en faveur de la puissance européenne.

Le chemin vers l’indépendance est long, dangereux, incertain ; il pourrait prendre plus de cinquante années d’efforts, de luttes, de passions. Cependant, cette solution doit être privilégiée par les stratèges européens pour plusieurs raisons : elle nous permettra de jouir d’une identité à part entière et de nous protéger d’une dérive probable de la démocratie américaine vers un régime autoritaire modelé par le complexe militaro-pétrolier ; elle seule nous offre l’espoir de décider librement de notre avenir sans avoir à quémander honteusement notre bonheur et notre sécurité auprès des Américains.

Il est grand temps que les stratèges Européens perdent leurs complexes face aux Américains et pensent l’avenir de leur continent avec la même force et la même brutalité qu’un Christophe Colomb qui posa les pieds sur le nouveau monde en conquérant. Il est affligeant de constater que tant d’Européens trouvent leur bonheur dans les chaînes d’une servitude volontaire et qu’ils confondent jouissance et liberté, amitié pour les Américains et désir de courber l’échine.

L’Europe est déjà une grande puissance ; il lui manque seulement un peu d’audace pour exercer, à la place des Etats-Unis, cette hégémonie bienveillante sur le reste du monde, dont les stratèges americains se vantent d’être les gardiens.

Guillaume de Rouville

Texte rédigé en Avril 2002 et publié sur le site Infoguerre en Mars 2003

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